Les ex-libris racontent l'histoire des livres : un cas émouvant
Publié par Jean-Marc Fischer le
En collationnant le livre de Vaugondy Robert de [Fils] "Essai sur l'histoire de la Géographie, ou sur son origine, ses progrès & son état actuel" nous avons trouvé sur les pages de garde des annotations d'ex-libris suffisamment émouvantes pour en parler ici.
Tout d'abord qu'est-ce qu'un ex-libris ? D'après le site de référence de Enssib (Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques) on trouve : "« Ex libris N. » est une formule latine qui signifie « des livres de N. » et marque la possession". On trouve souvent des marques à la plume, sur les première pages jusqu'à la page de titre, avec les noms des propriétaires, parfois successifs, des livres. Souvent les marques précédentes sont biffées (parfois violemment !) ou pire la page est découpée ou déchirée pour les faire disparaître. Les propriétaires plus aisés utiliseront une étiquette collée au contre-plat ou sur les gardes de l'ouvrage. Ces étiquettes pourront être armoriées pour les nobles ou avec des dessins plus figuratifs dans les milieux bourgeois au XIXe (voir par exemple l'ex-libris de Paul Helbronner). La collection des ex-libris s'est développée à la fin XIXe. Les plus recherchés sont ceux de personnalités mais aussi ceux qui présentent une certaine originalité dans la gravure, en particulier les ex-libris érotiques (dit ex-eroticis)
Dans le cas qui nous intéresse on trouve deux longs textes d'ex-libris que nous reproduisons scrupuleusement dans leur orthographe d'origine. Tout d'abord à la première page de garde, daté du 18 juillet 1799 : "Ce livre ma partien depuis l'an 7 de la République française une indivisible démocratique inperissable est Celui qui le trouverat me le Rendrat est je lui peyairait un Boucalÿ de vinne Biancou fait à Rome au for Saint ange Le 30 messidor an Sus dit de la R. f. (18 juillet 1799) antoine Sauvajon Sergent de Carabinier de la 27eme dimi Brigade d'infanterie legere 2eme Bne (bataillon ?) Carabiniers." et à la dernière page de garde, écrit à l'envers et daté du 15 juillet 1805 : "Ce Livre mapartien à moÿ antoine Sauvajon dit La Rose 1804 Celui qui Le troverat si veut avoir la Bonté de melerandre je Lui serait Bien auxBligé est je lui peyaire une Boutaille de vin. Si me le ran pas le diable lanporterat 15 juillet".
On voit que ce livre, qui est une introduction à l'Atlas de Robert de Vaugondy (atlas rare et recherché, un des premiers atlas du XVIIIe et dont la rédaction pris 15 ans) et paru en 1755 en prépublication, était très précieux aux yeux de Antoine Sauvajon au point de menacer du diable celui qui ne lui rendrait pas ! Antoine en a pris très grand soin car ce livre nous est parvenu en très bon état.
Nos nombreuses recherches ne nous ont pas permis trouver une biographie du sergent Antoine Sauvajon. Il nous dit qu'il fait partie de la 27eme demi brigade d'infanterie légère qui fut formée le 1er prairial an IV (20 mai 1796) et qui a fait les campagnes de l'an IV, de l'an V et de l'an VI à l'armée d'Italie, celle de l'an VII aux armées d'Italie, de Rome et de Naples et celles de l'an VIII et de l'an IX aux armées de l'Ouest et de Batavie. Elle constitua le 27e régiment d'infanterie légère le 1er vendémiaire an XII (24 septembre 1803) et fut de toutes les campagnes de l'armée révolutionnaire et de l'armée napoléonienne. Elle participa à la campagne d'Italie et il n'est donc pas surprenant que Antoine Sauvajon date son ex-libris de 1799 du château Saint-Ange à Rome, résidence papale qui avait été confisquée par les soldats de la République. Jacques Sales dans "Historique de la 27e demi-brigade et du 27e régiment d’infanterie légère" donne les campagnes de cette demi brigade. Le "Contrôle des troupes du 27e Régiment d’infanterie légère, cote 22 YC 199, relevé des troupes incorporées jusqu’en juin 1806", document du Service Historique de la Défense, permettrait d'en savoir plus mais n'est pas -encore- disponible en ligne.
D'après le deuxième ex-libris on sait qu'il était encore en vie en 1804. A cette date le 27e est à l’Armée du Hanovre à Lüneburg. Un article de la Gazette nationale ou le Moniteur universel, 23 janvier 1807 p. 3 nous laisse entendre qu'un Antoine Sauvajon de Valence aurait disparu : "parti pour le service militaire au commencement de la révolution, et dont n'a pas eu de nouvelle depuis 1795. Le tribunal de première instance de Valence, a ordonné une enquête ... pour constater l'absence d'Antoine Sauvajon" à la demande de Jeanne Champion son épouse. La possibilité que cela soit notre homme nous paraît élevée : cette demi brigade ayant été formée en partie d'éléments recrutés dans la région grenobloise (demi-brigade des Allobroges) et le nom Sauvajon ou Sauvageon étant assez commun dans la Drôme.
Il est émouvant de voir que cet ouvrage a accompagné un soldat de la jeune République puis de l'Empire dans les pérégrinations de ses campagnes européennes et a pu nous parvenir en si bel état et surtout que, quoique peu lettré, il ait pu y tenir tant.
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